Lee Miller
Lee Miller, née Elizabeth Miller le à Poughkeepsie dans l'État de New York aux États-Unis et morte le à Chiddingly dans le Sussex de l'Est au Royaume-Uni, est une photographe et reporter américaine, égérie du surréalisme.
Naissance | |
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Nationalité | |
Formation |
École nationale supérieure des beaux-arts Art Students League of New York Oakwood Friends School (en) |
Activités | |
Fratrie |
Johnny Miller (en) |
Conjoints |
Aziz Eloui Bey (d) (de à ) Roland Penrose (à partir de ) |
Enfant |
Antony Penrose (en) |
Mouvement | |
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Site web |
(en) www.leemiller.co.uk |
Biographie
modifierFamille et jeunesse
modifierNée dans une famille protestante[1], privilégiée et cultivée aux opinions progressistes, Elizabeth Miller est élevée à égalité avec ses frères. Son père est ingénieur et photographe amateur ; à l'adolescence, elle est photographiée nue par ce dernier[2]. Elle est marquée par un viol subi à sept ans et par une maladie sexuellement transmissible qui s'ensuit[3],[4],[5]. Autre drame : alors qu'elle est adolescente, son petit ami se noie devant elle lors d'une promenade en barque[6],[5].
Études et débuts de mannequin
modifierElle entreprend en 1925 des études de théâtre et d'arts plastiques à l'École nationale supérieure des beaux-arts de Paris, puis à New York à partir de 1927. Dans cette ville, elle est repérée par hasard par Condé Nast, le fondateur du magazine Vogue, dont elle ne tarde pas à faire la couverture[6],[1] dès le mois de mars[7] ; elle pose alors pour les photographes de mode de Vogue[2] tels Edward Steichen ou George Hoyningen-Huene[8].
Rencontre avec Man Ray
modifierEn 1929, Lee Miller quitte l'Amérique pour Paris et fait la connaissance de Man Ray, de dix-sept ans son aîné, dont elle devient à la fois la muse, la maîtresse et l'assistante[3]. En parallèle, elle poursuit sa carrière dans le mannequinat[2]. Elle crée en 1930 son propre studio photographique. Lee Miller reprend notamment des commandes du monde de la mode[9] que Man Ray n'est plus en mesure d'honorer. Ainsi, à cette époque, des images signées Man Ray sont en fait l’œuvre de Lee Miller. Avec Man Ray, elle redécouvre la technique photographique de la solarisation[10],[6].
Lee Miller participe au mouvement surréaliste en produisant des images pleines d'esprit et d'humour. À cette époque, Lee Miller se lie d'amitié avec Paul Éluard, Pablo Picasso et Jean Cocteau. Ainsi elle interprète le rôle de la statue dans le film de Jean Cocteau Le Sang d'un poète[6]. Dotée d'un physique exceptionnel, elle déclare néanmoins :
« J’étais très belle. Je ressemblais à un ange mais, à l’intérieur, j’étais un démon[11]. »
New York
modifierEn raison de la jalousie possessive de Man Ray[3], Lee Miller le quitte ; la rupture est violente[12] et elle repart à New York en 1932[13] où elle ouvre son propre studio[12], assistée d'Erik, le plus jeune de ses deux frères[note 1],[14]. La galerie Julien Levy organise sa première exposition personnelle.
Deux années plus tard, elle épouse Aziz Eloui Bey, un riche homme d'affaires égyptien, et ils s'installent au Caire[6]. Elle photographie alors le désert et des sites archéologiques, et produit une photo connue, Portrait of Space. La vie au Caire la lasse et ses amis surréalistes lui manquent : elle repart pour Paris durant l'été 1937[12]. À cette époque, elle photographie Pablo Picasso en Minotaure et il la peint en Arlésienne[12] ; elle devient un modèle pour Picasso qui réalise d'autres nombreux portraits d'elle[15].
Lors de ce voyage en France, elle fait la connaissance de l'écrivain surréaliste britannique Roland Penrose[12]. « Penrose avait séduit Lee en Cornouailles et à Mougins en 1937, l'avait poursuivie à travers les Balkans en 1938, conquise en 1939 avec « The Road is Wider Than Long » en Égypte, enlevée et ramenée à Londres via Antibes au début de la guerre[16]. »
Correspondante de guerre pour Vogue
modifierEn 1940, Lee Miller vit avec Roland Penrose. Elle travaille à Londres pour le British Vogue, fournissant photos de mode et de multiples portraits[12]. Dès 1942, elle est accréditée par l'US Army[7] et prend des images du Blitz[17].
Durant l'été 1944, elle devient correspondante de guerre dans l'armée américaine sur les terrains de guerre. Mandatée par Audrey Withers, ses comptes-rendus et photographies sont publiés dans le magazine américain et dans son édition britannique[17],[18]. De 1944 à 1946, en équipe avec David Sherman, photographe du magazine Life mais également son amant de guerre[12], elle suit la 83e division[17] depuis le débarquement en France (en août 1944 elle est à Saint-Malo pendant le siège et la libération de la ville[19], puis elle rejoint Paris et photographie ses amis artistes, début 1945 à Colmar[12]), un périple qui va la mener jusqu'en Roumanie, en passant par l'Allemagne, l'Autriche ou la Hongrie[6].
Lee Miller témoigne, par l'image, ainsi qu'avec le texte puisqu'elle commente ses photographies[12], de la vie quotidienne des soldats. Après être passée par les Pays-Bas, elle découvre en [7] les camps de concentration de Buchenwald et de Dachau. Ses photographies, dont celle de deux soldats ouvrant en pleine clarté la porte d’un wagon rempli de cadavres entassés, sont les premières à révéler l'horreur des camps. Il lui faudra écrire à Vogue et certifier que les clichés sont authentiques, pour que le magazine les publie[20] deux mois plus tard : « Je vous supplie de croire que c'est vrai » est-elle obligée d'indiquer à la rédaction du magazine[12] ; l'article de Vogue portera d'ailleurs le titre de « BELIEVE IT » avec sept pages rien que pour ses photos[17]. « Nous avons hésité longtemps et nous nous sommes concertés pour décider si nous devions ou non publier » précisera bien plus tard Edna Woolman Chase, alors rédactrice en chef[17].
Elle arrive à Munich et s'installe pendant quelques jours avec David E. Scherman, correspondant de Life, dans l'appartement privé d'Hitler au 16, Prinzregentenplatz. Le jour même de leur arrivée dans les lieux, le , le Führer se suicide dans son bunker à Berlin. Durant leur séjour, Scherman prendra d'elle l'une de ses plus célèbres photos, un bain — nue et relativement pudique — dans la baignoire personnelle du dictateur, un portrait de ce dernier à ses côtés[6],[note 2].
Elle assiste à l'incendie du Berghof et ne rentre pas chez elle à la fin de la guerre : l'association de somnifère, d'alcool et d'amphétamine la pousse dans l'errance en Europe centrale (Autriche, Hongrie) jusqu'en janvier 1946, photographiant la dévastation[21]. Elle retourne à Londres[21].
Max Ernst et Picasso
modifierMinée par un passé d’abus sexuel et un syndrome post-traumatique[5], elle sombre dans l’alcool et la dépression[6],[1].
En 1946, avec Roland Penrose, elle rend visite à Max Ernst et son épouse, l'artiste Dorothea Tanning, en Arizona. Penrose et Miller se marient l'année suivante, en Angleterre, et ont un fils, Anthony, en 1947. En 1949, ils s'installent à Farley Farm House (en), dans le Sussex en Angleterre.
Depuis la naissance de son fils, elle pratique son métier de photographe par « intermittence »[21]. De 1948 à 1973, elle poursuit son travail pour Vogue et ses photos illustrent les ouvrages de Penrose, Picasso ou Antoni Tàpies. Elle s'intéresse également à la gastronomie, remportant des concours culinaires[6].
Décès
modifierLee Miller meurt chez elle d'un cancer à Chiddingly le à l’âge de 70 ans.
Postérité
modifierLee Miller laisse, après sa mort, 60 000 photographies dans des cartons entreposés à Chiddingly[5]. Son œuvre photographique et journalistique est redécouverte dans les années 1990[2] et ses archives sont inventoriées.
Son fils, Anthony Penrose, a fondé les archives Lee Miller dans le Sussex et a publié plusieurs livres sur la vie et l'œuvre de sa mère[6].
Filmographie
modifierActrice
modifier- 1930 : Autoportrait ou Ce qui manque à nous tous (court métrage) de Man Ray : la femme
- 1932 : Le Sang d'un poète de Jean Cocteau : la statue
Sur Lee Miller
modifier- Lee Miller (2023), réalisé par Ellen Kuras, film basé sur sa vie. Son personnage est joué par Kate Winslet[6].
Expositions
modifier- - : The Art of Lee Miller, Victoria and Albert Museum, Londres[22].
- puis - : L'art de Lee Miller, Galerie nationale du Jeu de paume, Paris[23].
- - : Centre national de l'audiovisuel, Dudelange, Luxembourg.
- - : Vienne, Albertina.
- - : exposition sur le travail de Lee Miller durant la Seconde Guerre mondiale, Imperial War Museum, Londres.
- - : Femmes photographes de guerre, Musée de la Libération de Paris - musée du Général Leclerc - musée Jean-Moulin, Paris[24].
- juillet - : Lee Miller. Photographe professionnelle (1932-1945), Espace Van Gogh, Arles[6],[21].
- - : Surréalisme au féminin ?, Musée de Montmartre, Paris.
- 18 juillet - 3 novembre 2024 : Lee Miller. Saint-Malo assiégée, 13-17 août 1944., chapelle de la Victoire, Saint-Malo[25].
Notes et références
modifierNotes
modifier- Erik Miller sera par la suite embauché comme photographe chez le constructeur aéronautique Lockheed Aircraft Corporation.
- « L'étonnante histoire d'une séance photo dans la baignoire d'Hitler pour le magazine Vogue », slate.fr, 2 avril 2013.
On pourra voir ce célèbre cliché ainsi qu'une de ses variantes, assortis d'anecdotes et de commentaires de Lee Miller, ici : (en) auteur non indiqué, « Lee Miller in Hitler's Bathtub » [« Lee Miller dans la baignoire d'Hitler »], sur Iconic Photos, (consulté le ).
Et on verra ici, en plus de ces photos, un cliché de Lee Miller découvrant, le visage écœuré et peu de temps avant cette séance dans l'appartement d'Hitler récemment suicidé, les horreurs du camp de concentration de Dachau : (en) Messy Nessy, « Taking a Bath in Hitler’s Tub for Vogue » [« Prendre un bain dans la baignoire d'Hitler pour Vogue »], sur messynessychic.com, (consulté le ).
Commentaire de l'auteur de l'article (traduit par nos soins) :« Miller avait traversé l’horreur du camp de la mort quelques heures plus tôt [horreur dont témoigne la saleté des chaussures militaires à double boucle devant la baignoire]. Au milieu de la controverse qui suivit la publication de la photo dans Vogue, Miller déclara qu’elle essayait simplement de se laver des odeurs de Dachau. »
Références
modifier- Teresa Griffiths, « Lee Miller - Mannequin et photographe de guerre », Arte, 2020.
- Lambron, p. 89.
- Guy Duplat, « Couples d'artistes : Lee Miller et Man Ray », La Libre Belgique, .
- Marianne Amar, « Les guerres intimes de Lee Miller », Clio. Femmes, Genre, Histoire, no 20, (ISSN 1252-7017, DOI 10.4000/clio.1396, lire en ligne, consulté le ).
- Grande Traversée : Lee Miller, une combattante, podcasts et émissions de Judith Perrignon, 2022, 5 x 58 min, France Culture, cinquième partie.
- Claire Guillot, « Reporter de guerre, photographe de mode, mannequin… Lee Miller, bien plus qu’un cliché », sur lemonde.fr, (consulté le ).
- Norberto Angeletti, Alberto Oliva et al. (trad. Dominique Letellier, Alice Pétillot), En Vogue : L'histoire illustrée du plus célèbre magazine de mode, White Star, , 410 p. (ISBN 978-8861120594), « 1940- 1950 : de la Café Society à Christian Dior », p. 136.
- « Lee Miller, personnage fascinant et essentiel », artsphalte.com, consulté le 31 juillet 2022.
- Inès Boittiaux, « Rencontres d'Arles : Lee Miller, des studios de Vogue aux camps de la mort », Beaux Arts Magazine, 6 novembre 2022.
- Voir la section : « En photographie » de l'article consacré à la solarisation en physique.
- Condé Nast, « La folle vie de Lee Miller, muse de Man Ray, photographe de guerre et cuisinière surréaliste », sur Vanity Fair, (consulté le ).
- Lambron, p. 90.
- (en-GB) « Man crush: When Man Ray met Lee Miller », The Independent, (lire en ligne, consulté le ).
- Katherine Slusher, Lee Miller, Roland Penrose: The Green Memories of Desire, Prestel, 2007, page 95.
- William Rubin (sous la dir. de) Picasso et le portrait, coédition Réunion des musées nationaux et Flammarion, Paris, 1996, p. 78 et 86 (ISBN 2-7118-3489-1).
- Sarah Wilson, La Planète affolée. Surréalisme, dispersion et influences, 1938-1947, catalogue d'exposition au Centre de la Vieille Charité, Marseille, Édition Musées de Marseille/Flammarion, 1986, page 163.
- Norberto Angeletti, Alberto Oliva et al. (trad. Dominique Letellier, Alice Pétillot), En Vogue : L'histoire illustrée du plus célèbre magazine de mode, White Star, , 410 p. (ISBN 978-8861120594), « Lee Miller : reportages de guerre », p. 142-143.
- (en) Ruth La Ferla, « Fashion Magazine Editors, Take a Page From Audrey Withers », sur nytimes.com, (consulté le ).
- Inès Boittiaux, « Quand l’intrépide Lee Miller photographiait la libération de Saint-Malo en 1944 », Beaux Arts, (lire en ligne).
- A.-J. Bizimana, 60e anniversaire de la libération d'Auschwitz - Comment la presse a découvert l'Holocauste, dans Le Devoir du 27 janvier 2005.
- Lambron, p. 91.
- Antoine Capet, « The Art of Lee Miller », sur La Tribune de l'Art, .
- « L'art de Lee Miller », sur Jeu de paume.
- « Exposition/ Femmes photographes de guerre », sur museeliberation-leclerc-moulin.paris.fr, (consulté le ).
- « Quand l’intrépide Lee Miller photographiait la libération de Saint-Malo », sur Beaux Arts, (consulté le ).
Voir aussi
modifierBibliographie
modifierOuvrages
modifier- Antony Penrose (en), The Lives of Lee Miller, Londres, Thames and Hudson, 1985.
- Les Vies de Lee Miller, Thames and Hudson, rééd. en français en 2022 (ISBN 9780500297148).
- Antony Penrose, Lee Miller's war 1944-1945, Londres, Condé Nast Books, 1992. Traduction française de Noëlle Akoa, Lee Miller photographe et correspondant de guerre, Paris, éd. Dumay, 1994.
- Antony Penrose, « Lee Miller, muse et artiste surréaliste », in La Femme s'entête. La part du féminin dans le surréalisme, textes réunis par Georgiana Colvile et K. Conley, Paris, Lachenal & Ritter, 1998.
- (en) The Legendary Lee Miller photographer 1907-1977, Lee Miller Archive, East Sussex, 1998.
- Georgiana Colvile, Scandaleusement d'elles : trente-quatre femmes surréalistes, Paris, Jean-Michel Place, 1999, p. 196-205 (ISBN 2-85893-496-7).
- Carolyn Burke (en), Lee Miller dans l'œil de l'histoire, éditions Autrement, 2007.
- (en) Grim Glory: Lee Miller's Britain at War, Lee Miller Archives, 2020.
- Eleonora Antonioni, Les Cinq Vies de Lee Miller, éditions Steinkis, 2021. Bande dessinée inspirée de la vie de Lee Miller.
- Lee Miller (préf. David E. Scherman, Edmonde Charles-Roux), Reportages de guerre 1944-1945, Paris, Bartillat, , 224 p. (ISBN 9782841007295) Lire l'article de Maurice Szafran, « La vraie Lee Miller », Challenges, no 852, , p. 112 (ISSN 0751-4417), à propos de cet ouvrage.
Articles
modifier- Marc Lambron, « Lee Miller, le reflet de sa vérité », Le Point, no 2603, , p. 88-91 (ISSN 0242-6005).
- « Les guerres intimes de Lee Miller », sur clio.revues.org, 2004.
Romans
modifier- Marc Lambron, L'Œil du silence, 1993 - prix Femina 1993. La vie romancée d'Elizabeth Miller de 1944 à 1946.
- Jessica Nelson, Debout sur mes paupières, éditions Belfond, 2017 Roman inspiré par la vie de Lee Miller.
Documentaires
modifier- Lee Miller ou la Traversée du miroir, film de Sylvain Roumette, France, 1995, 54 min, Production Terra Luna Films.
- L’Amour à l’œuvre - Lee Miller et Man Ray, film de Delphine Deloget, France, 2018, 25 min, Arte.
- Lee Miller - Mannequin et photographe de guerre, film de Teresa Griffiths, Royaume-Uni, 2020, 60 min, Arte.
Radio
modifier- Grande Traversée : Lee Miller, une combattante, podcasts et émissions de Judith Perrignon, 2022, 5 x 58 min, France Culture.
Articles connexes
modifierLiens externes
modifier
- (en) Site officiel
- Ressources relatives aux beaux-arts :
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